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AnalyseInformations généralesOenologieViticulture
25/08/2021 -

Incidences des incendies de forêts sur la vigne et recommandations de bonnes pratiques

Suite aux différents incendies qui se sont développés dans le sud de la France sur ce mois d'août 2021, le Groupe ICV vous propose une note technique sur les conséquences et les actions à mener. 

Retrouvez la cartographie détaillée des incendies du Var.

L'article en téléchargement ici

Les feux de végétaux conduisent à des dépôts sur le feuillage et les baies d'un grand nombre de composés parmi lesquels la famille des COV (composés organiques volatiles), avec des conséquences potentiellement négatives sur les profils sensoriels des vins.


Depuis plus de 20 ans de nombreuses études ont été menées sur les effets des incendies sur les déviations analytiques et sensorielles rencontrées sur les vins issus de vignes touchées. L'essentiel des travaux a été conduit en Australie, au Canada, aux USA et en Afrique du Sud.

Les molécules identifiées sont nombreuses et leurs seuils de détection complexes à définir étant donné que des précurseurs glycosylés sont impliqués : ces précurseurs ne sont pas volatils mais libérés lors de la dégustation par les effets de la salive.

Il est donc difficile de donner des règles précises même si un certain nombre de conclusions présentées ici semblent assez largement admises par les scientifiques ayant travaillé sur le sujet.

 

 

Cartographie

 

La première étape doit être d'identifier les zones concernées.

Grâce aux cartes des incendies établies par le programme européen Copernicus Emergency Management Service (© European Union), Terranis et le Groupe ICV ont établi dans le cadre du service Oenoview® une cartographie des risques sur le secteur de la plaine et massif des Maures récemment touchés, dans le Var.

 

 

A partir de la zone brûlée détectée au 23/08/2021, 3 zones d’intérêt ont été mises en avant :

 

  • La zone de proximité immédiate, dans une limite de 20 m de la limite des incendies, présentant un risque très élevé de dégâts directs du feu (échaudage, dépôts de cendre ou de produits retardants)
  • La zone intermédiaire de 20m à 50 m, avec un· risque modéré d’exposition aux dégâts directs du feu
  • La zone distante de 50 m à 200 m, avec absence de dégâts directs  mais où le raisin a de fortes probabilités d’être touché par les cendres.

 

Ces zones peuvent être modifiées localement par les vents, avec aggravation des dégâts sur des distances plus longues.

 

En comparant cette cartographie avec l’emplacement des parcelles de vignes, il est possible d’évaluer les surfaces viticoles concernées dans chaque secteur, et de trier rapidement les parcelles en prévision de la récolte.

Sur le secteur du Var, cette comparaison a été rendue possible en utilisant les parcelles disponibles sur le RPG (Registre Parcellaire Graphique) de 2018, complétée avec le parcellaire géoréférencé fourni par différentes caves du secteur, dans le cadre du service Oenoview®.

 

Ainsi l’incendie du Var a impacté :

 42 ha de vignes présentes dans la zone incendiée

 176 ha de vigne, soit 20% dans la zone de proximité immédiate

 202 ha de vigne soit 23% dans la zone intermédiaire

 519 ha de vigne, soit 58% dans la zone distante

 

L'ICV met à disposition une carte interactive pour permettre à tous ceux qui le souhaitent de visualiser les zones touchées. 

 

Cartographie de l’impact des incendies sur le vignoble varois, établie à partir de la carte fournie par Copernicus Emergency Management Service (© 2021 European Union), [EMSR541] Gonfaron: Delineation Product, Monitoring 3

 

Le travail d’évaluation des dégâts pour une cave n’aurait pas été rendu possible sans avoir accès, rapidement, au parcellaire viticole numérique géoréférencé de cette dernière. Les images fournies par les satellites Sentinel et ce parcellaire sont une réelle opportunité afin d’estimer rapidement des dégâts liés à des catastrophes naturelles. Les réponses peuvent être rapides et adaptables.

Le Groupe ICV peut accompagner les caves qui veulent rentrer dans cette démarche.

 

Différents niveaux de dégâts dans les parcelles proches - Photo ICV, Provence 2021

 

Aspects "chimiques"

 

Les molécules identifiées sont des phénols volatils parmi lesquels le gaïacol et le 4-méthylgaïacol, le syringol et le 4-méthylsyringol sont les principaux (avec leurs précurseurs glycosylés), ainsi que les crésols (ortho, para et méta). Les chercheurs s'accordent pour dire que ces molécules gagneraient la plupart du temps à être toutes dosées, avec en parallèle des mesures sur des années ou des parcelles sans feux, puisque certains cépages comme la Syrah par exemple peuvent présenter des concentrations naturelles mesurables.

 

La modélisation du risque est quasiment impossible étant donné la diversité des combustibles (arbres d'essences différentes, herbes plus ou moins sèches et espèces variables), l'effet des conditions de vent au moment de l'incendie, l'humidité de l'air et la température dans les heures et les jours qui suivent ces incendies.

Apparemment, deux voies d'accumulation dans le raisin prédominent : l'absorption sur la pellicule du raisin et celle par les feuilles. Une fois que ces composés ont pénétré dans la plante, une très large fraction, majoritaire, passe sous forme glycosylée, moins toxique pour le végétal. Cette forme glycosylée est inodore et semble s'accumuler progressivement dans les 2 semaines qui suivent l'exposition à la fumée.

La vigne est d'autant plus sensible à l'accumulation de ces composés que la véraison est avancée. Pour donner une idée, le risque d'accumulation dans le raisin des molécules liées à un incendie croît jusqu'à la date de véraison + 7 jours. Ensuite, pendant tout le reste de la phase de maturation, il n'y aurait pas de différences dans les effets négatifs. On peut donc penser que les cépages tardifs seront moins touchés cette année par les feux de début août que les cépages précoces.

 

Même si tous les chercheurs ne sont pas unanimes, ces composés semblent se retrouver en quantité nettement plus importante dans la pellicule et peu dans la pulpe, sans effet variétal mesurable (autre que celui du stade phénologique — voir ci-dessus).

 

D'un  point de vue gustatif, c'est la synergie entre ces molécules qui génère les sensations de "fumée", "suie", "cendre froide"… En bouche, les précurseurs glycosylés jouent un rôle qui peut être majeur et dépendant du dégustateur. Une étude conduite par l'AWRI montre que la salive de 4 dégustateurs différents peut libérer, in vitro, de 10% à 70% de ces précurseurs ! Ceci peut largement expliquer des différences de sensibilité individuelle et, parfois, la difficulté à s'accorder sur la présence ou l'intensité du défaut. Cela est lié au pH salivaire et à sa concentration en enzymes, facteurs variables d'un individu à l'autre.

 

 

Aspects viticoles

 

1. Dégâts directs = échaudage

Concerne les rangs de bordures, et parfois des parcelles envahies par l’herbe qui a permis la propagation du feu à travers la parcelle.

Feuilles plus ou moins brûlées ou desséchées, raisins flétris.

 

Recommandations :

  • Le raisin est impropre à la vinification.
  • Couper le raisin pour préserver la vigne.
  • L’hiver suivant : tailler sévèrement pour favoriser le développement de beaux bois de taille

 

2. Dépôts de cendres et de fumée

Concerne les parcelles situées sous le vent d’un incendie, ayant été survolées par le panache de fumée.

Pas de dégâts visibles sur feuillage, mais possible présence d’un dépôt pulvérulent plus ou moins important.

 

Dégâts d'incendie en Provence, 2021 — Photo ICV

 

Incidence des cendres :

Modification du goût du raisin : des goûts de cendre très intenses peuvent être ressentis même en l’absence de dépôt visible sur les baies, et plusieurs semaines après l’incendie, surtout s’il n’a pas plu entretemps. Ces arômes sont susceptibles de se communiquer au vin. Les cendres sont alcalines, et susceptibles de modifier le pH du vin

 

 

Recommandations :

  • Identifier les parcelles à problème par la dégustation systématique des raisins susceptibles d’avoir été sous le panache de fumée
  • Veiller à déguster le raisin dans un endroit neutre pour ne pas être influencé par d’éventuelles odeurs ambiantes de fumée ou de suie (conserver les grappes dans un sachet plastique bien fermé quelques heures avant la dégustation permet souvent d'identifier assez aisément les raisins touchés)

NB : le raisin ne sent pas nécessairement la fumée, mais a un goût de cendre.

  • Ne pas vinifier des raisins avec des dépôts de cendre très visibles.
  • Vinifier le raisin suspect à part en prêtant tout particulièrement attention au développement d’arômes soufrés et à l’évolution de l’acidité.
  • Faire des tests de stabilité.

Dégâts directs et dépôts de cendre sur les raisins,

Provence, 2021 — Photo ICV

 


3. Déversement d’eau de mer ou d’étangs littoraux (eau plus ou moins salée)

Parfois utilisée par les Canadairs.

Dégâts de sels visibles sur feuillage.

L’incidence sur la maturation est fonction du % de feuilles touchées (diminution du potentiel photosynthétique en cas de défoliation importante).

 

Recommandations :

  • Intégrer l'état du feuillage (même méthode d’évaluation que pour le mildiou) dans l’évaluation du potentiel qualitatif de la vigne.
  • En cas de défoliation importante, vendanger le raisin même s’il n’est pas complètement mûr pour préserver les réserves du bois, et pratiquer une taille sévère l’hiver suivant.

 

4. Déversement de produits retardants

Composition probable (difficile d'avoir des données certifiées sur ce sujet) : 93,5 % de phosphate d’ammoniaque (retardant), 4 % d’argile (fixateur), 1 % oxyde de fer (couleur rouge), ferrocyanure, gomme de guar + divers.

A priori, ces produits ne contiennent aucun constituant toxique pour l’homme ou nuisible pour l’Environnement (selon le Centre Anti Poison de Marseille).

 

Dépôts de retardant sur les feuilles — Photo ICV

 

 

Ils exercent cependant une action corrosive sur les cailloux calcaires, liée à leur acidité.

Du point de vue réglementaire, il s’agit de produits à usage non alimentaire. Le raisin souillé est impropre à la consommation et doit être détruit.

Risques pour le vin :

Pas de risque particulier de casse ferrique

Développement de défauts gustatifs importants (métal, urine de chat) et d’une certaine agressivité en bouche.

 

Recommandations :

  • En cas de forte contamination des raisins : détruire la récolte, en faisant faire une estimation des dégâts par un expert pour évaluer leur importance et faire marcher les assurances.
  • Si le raisin ne paraît pas souillé : vinifier à part.
  • Penser à rincer soigneusement le matériel vinaire, les tuyauteries et les pompes après contact avec la vendange souillée.
  • Prévoir des analyses de recherches de résidus avant mise en marché du vin.

 

Aspects œnologiques :

 

Étant donné que les composés négatifs et leurs précurseurs sont présents dans la pellicule il est évident que la bonne pratique principale reposera sur la minimisation du temps de contact entre le jus et les pellicules.

Le lavage des raisins est généralement recommandé même s'il a peu d'effet mesurable dans les essais sur le sujet.

 

Le pressurage direct sans foulage ni éraflage est préférable à tout autre mode de vinification. Des écarts de 1 à 2 entre pressurage direct avec ou sans éraflage-foulage ont été mesurés sur les phénols totaux et des écarts de 1 à 4,5 entre pressurage direct sans éraflage-foulage et macération de 6 jours (voir graphique où le Chardonnay a été pressé sans éraflage-foulage, le Sauvignon avec éraflage-foulage et le Merlot macéré 6 jours).

 

Graphique extrait de Kelly et al., AWRI publié dans AJGWR, n°20, 2014

 

 

L'effet lié au cépage est jugé quasiment négligeable par les chercheurs.

En fait c'est essentiellement le moment d'apparition des fumées par rapport au stade phénologique qui semble peser de manière principale sur les teneurs en composés. D'après les données disponibles, l'impact augmente de la nouaison jusqu'à 7 jours après véraison pour rester relativement stable (au niveau le plus élevé), ensuite.

La séparation des jus à un niveau de l'ordre de 40 hL pour 10 t de raisin conduit à des jus moins riches en précurseurs et en COV : il est donc intéressant de modifier ses pratiques de séparation des jus en traitant de manière séparée une fraction de presse "forte" plus importante en volume et sur laquelle les défauts risquent d'être plus intenses.

Les levures jouent un rôle non négligeable sur les teneurs finales. Par chance, quelques unes des nôtres ont été testées par l'AWRI en Australie : GRE® est nettement plus favorable aux faibles sensations alors que D254® se classe dans les "mauvais élèves". D21® se comporte plutôt bien, apparemment plus par sa capacité à conserver le fruité frais. Le passage en flash  détente, avec traitement séparé des condensats devrait permettre d'éliminer significativement les fractions libres des molécules indésirables, y compris sur jus.

 

 

Les traitements curatifs sont diversement évalués même s'il y a une tendance à identifier les charbons activés à fortes doses (80 à 120 g / hL) comme susceptibles de jouer positivement sur les concentrations de composés négatifs. La PVPP par contre seule semble peu efficace. Il n'est pas nécessaire, apparemment, de traiter immédiatement mais plutôt de faire des essais sur vins finis.

Néanmoins, des collègues ont travaillé très tôt sur moût avec des charbons désodorisants combinés à de la PVPP avec succès. Il est donc présomptueux de se prononcer sur une stratégie "curative" étant donné le faible nombre d'études spécifiques sur le sujet.

 

Cuverie dédiée aux cuvaisons courtes  — Photo ICV


Seguin Moreau a conduit des essais avec du bois sur des vins à des niveaux d'intensité faibles de COV et de leurs précurseurs. Il en ressort que les bois chauffés devraient plutôt être écartés parce qu'ils apportent des furanes qui accentuent les sensations de "brûlé", "suie". À l'inverse Exception® s'est très bien comporté autour de 2 g / L avec la possibilité d'ajouter un "complément" à petite dose de R02 (0,5 g / L) pour amener une note vanillée douce. Attention là aussi à la généralisation de ces informations : faites des essais !

 

 

Enfin, les formes glycosylées semblent stables en élevage et ne génèreraient donc pas plus ni moins de défaut aromatique dans le temps.

C'est encore un sujet sur lequel il faut rester prudents tant le dosage de ces précurseurs est compliqué et les mécanismes de libération (avec la salive par exemple) plutôt différents de ceux que l'on connaît sur d'autres composés d'arômes liés. La conséquence pratique est qu'il vaut mieux, avec des vins touchés, plutôt réaliser les assemblages au dernier moment, pour s'assurer au moins par la dégustation et au mieux par l'analyse de l'absence de défaut supplémentaire en fin d'élevage.

 

 

Retrouvez dans une courte vidéo l'étendue des dégâts en direct du Massif des Maures

 

 

 

 

Pour en savoir plus :

1. Determination of the Importance of In-Mouth Release of Volatile Phenol Glycoconjugates to the Flavor of Smoke-Tainted Wines, Mayr et al., JAFC, vol 62, 2014

2. Winemaking practice affects the extraction of smoke-borne phenols from grapes into wines, Kelly et al., AJGWR, vol 20, 2014

3. Review of smoke taint in wine…, Krstic et al, AJGWR, vol 21, 2015

4. https://www.lallemandwine.com/wp-content/uploads/2020/01/Smoke-taint-RED...

5. Detailed characterization of glycosylated sensory-active volatile phenols in smoke-exposed grapes and wine, Noestheden et al., Food Chemistry, 259, 2018

6. Profiling  Potentially  Smoke Tainted  Red Wines: Volatile  Phenols and Aroma Attributes,  McKay et al., SAJEV, 40-2, 2019

7. Smoke taint in the bottle, how long will it last ? Ristic & Wilkinson, AGW, 660, 2019

 

Auteurs : Daniel Granès, Jacques Rousseau, Tristan Perchoc, Jean Andres, Emerick Candaele & Jérôme Hourdel

Groupe ICV

Vifs remerciements à Sylvie Duthoit (Terranis) pour son travail sur la partie "Cartographie"

 

 

 


 

 

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