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Viticulture
04/05/2016 -

Observations de déficience chlorophyllienne

déficience chlorophyllienne sur vigne

Au cours de la saison 2015, les consultants viticoles du Groupe ICV ont observé une manifestation morphologique de type "chlorophyll defect" (autrefois on disait « albinos ») dans une parcelle de Grenache N faisant partie du référentiel de maturité « Observatoire du Ventoux ». Par ailleurs, une anomalie du même type a été également été signalée dans les Pyrénées-Orientales sur la variété Chardonnay B. Ces variations morphologiques apparaissent sur des plantes adultes mais peuvent aussi affecter des jeunes plants greffés soudés en pépinière.

 

Apparition de cas de déficience chlorophyllienne  sur le Grenache N et le Chardonnay B en 2015

Jacques ROUSSEAU1, Anthéia BRUNO1, Jean Michel BOURSIQUOT2, Laurent TORREGROSA2

1Groupe ICV, La Jasse de Maurin, 34970 Lattes

 2 Montpellier SupAgro, UMR AGAP & UMT Géno-Vigne, 2 place P. Viala 34060 Montpellier Cedex

 

Comment explique t-on l’apparition de ces variations morphologiques ?

 

Ces phénomènes correspondent à des variations somatiques, c’est à dire qui ne proviennent pas des recombinaisons génétiques induites par la fécondation. Elles s’expriment sur la vigne cultivée en serre ou au champ et résultent d’une altération locale de l’ADN (Torregrosa et al. 2011).

 

L’altération consiste en une modification du fonctionnement d’un gène du fait d’une variation épigénétique liée au changement de la conformation chromosomique (variégation), ou d’une mutation proprement dite (changement de la séquence génétique). Une variation somatique peut apparaître dans une cellule terminale ou latérale d’un méristème (bourgeon) ou d’un organe en développement. Dans le premier cas, elle pourra être présente dans l’ensemble des organes initiés par le méristème variant, alors que dans le second cas elle ne se manifestera que dans quelques secteurs latéraux (Torregrosa et Carbonneau, 2015).

 

L’anomalie morphologique que nous signalons ici est parfois observée chez la vigne  et elle est souvent établie à l’état chimérique et instable (elle disparait et tout redevient normal). Cette anomalie morphologique est le plus souvent causée par un élément génétique mobile (Carrier et al., 2012), activé sous l'effet de stress, qui vient muter la séquence d’un gène impliqué dans la synthèse ou l’adressage de la chlorophylle. Le phénomène est assez courant après le greffage (stress important) en pépinière. Le Muscat de Hambourg est également assez sujet à cette mutation sur les jeunes feuilles ce qui conduit à des patchworks de dégradés de vert sur les feuilles ou les baies.

 

a)

 

b)

 

Figure 1 a et b : Variations de couleurs sur limbes de vigne (Photos a : L.Torregrosa et b : J.M. Boursiquot)

 

 

Comment se présentent les anomalies observées en 2015 ?

 

Premier cas sur un cep de Grenache N

 

L’anomalie a été repérée peu avant véraison sous la forme d’un rameau portant des organes végétatifs (tige, bourgeons et feuilles) et reproducteurs (rafles et baies) entièrement décolorés et pratiquement blancs (Fig. 2).

 

 

Figure 2 : Rameau déficient chlorophyllien sur pied de Grenache N au 06/08/2015 (Photo Groupe ICV ©)

 

Par la date d’apparition et sa symptomatologie, cette manifestation ne peut pas être due à un problème physiologique (chlorose, carence magnésienne) ou pathologique (panachure, flavescence dorée). Plus probablement, une variation somatique a affecté des cellules initiales du bourgeon ayant développé le rameau. Ainsi la mutation a envahi l’ensemble des organes initiés par le méristème muté, ce qui explique que tous les organes présentent le même symptôme d’absence de chlorophylle.

 

Evolution des grappes

 

Le suivi photographique de la véraison à la récolte a permis de comparer l’évolution sur un même pied de Grenache N d’une grappe sans chlorophylle et d’une grappe normale. Alors que les feuilles et le rameau sans chlorophylle restent décolorés, la grappe portée par ce rameau a pu accumuler des anthocyanes avec un retard de 10-15 jours par rapport à une grappe normale portée sur la même souche, et sans parvenir à une intensité colorante comparable (Fig. 3).

 

6/8/2015

Avant véraison

 

La grappe sans chlorophylle est entièrement blanche, ainsi que le sarment, les pédoncules et les feuilles (limbe, nervures)

La grappe normale est encore verte.

14/8/2015

Début véraison

 

La grappe sans chlorophylle est entièrement blanche, ainsi que le sarment, les pédoncules et les feuilles (limbe, nervures)

Sur la grappe normale, une partie des baies commencent à se colorer.

 

24/8/2015

 

Une partie des baies de la grappe san chlorophylle commence à se colorer.

La coloration de la grappe normale est complète, à l’exception de quelques baies qui restent vertes ou à peine roses.

7/9/2015

 

La grappe normale a atteint une coloration complète et intense.

La grappe sans chlorophylle, s’est colorée en grande partie, avec une intensité plus faible. Une partie des baies reste rose ou verte.

On observe également un retard dans l’aoûtement du rameau

Figure 3 : Evolution  comparée d’une grappe sans chlorophylle  et d’une grappe normale (cv. Grenache N) au cours de la maturation (Photos Groupe ICV ©)

 

Ce retard de développement du raisin montre que l'assimilation locale de carbone est essentielle pour assurer la fourniture d'énergie nécessaire à la maturation des fruits : sans photosynthèse, un rameau peut se développer et mettre en place des organes végétatifs et reproducteurs, mais la translocation de sucres à partir des autres parties de la plante n'est pas suffisante pour permettre la maturation des raisins.

 

D’un point de vue génétique, il n’y a pas de liens directs entre la synthèse et l’adressage de la chlorophylle et l’accumulation des anthocyanes dans les vacuoles des cellules de la pellicule. Le retard de coloration est plutôt la conséquence de la perturbation de la synthèse des sucres consécutive à l’absence de chlorophylle sur le rameau et les feuilles. Il est bien connu en viticulture que lorsque la balance carbonée est déficitaire (microclimat dégradé, blocage de la photosynthèse par la sécheresse ou les températures élevées, excès de rendement…) la coloration des raisins est pénalisée.

 

C’est également le cas de tous les phénomènes physiologiques dépendant de la fourniture énergétique locale. Ainsi, on remarque que le rameau exprimant le défaut chlorophyllien présente également un grand retard d’aoûtement, processus de maturation du rameau lié à l’accumulation de glucides insolubles (amidon).

 

Deuxième cas sur un cep de Chardonnay B

 

Ce cas a été observé par un viticulteur de Rivesaltes, Fernand Baixas, sur une grappe de Chardonnay B au cours de la saison (Fig. 4). Ici, on observe une décoloration partielle de la grappe : seules certaines baies sont décolorées, qui font clairement apparaître une disposition en spirale des baies blanches au milieu des autres.

 

Figure 4 : Grappe de Chardonnay B avec déficience chlorophyllienne d’une partie des baies  au 27/7/2015 (Photo F. Baixas)

 

Cette variation morphologique est particulièrement originale et intéressante du fait de sa distribution. En effet il s’agit ici d’une variation somatique latérale (ou sectorielle) dont la répartition sur la grappe conforte de façon particulièrement démonstrative la théorie selon laquelle l'organisation pyramidale de l'inflorescence suit une phyllotaxie spiralée.

 

Conclusion

 

Les variations/mutations somatiques sont des évènements très fréquents (Carrier et al. 2012) qui passent le plus souvent inaperçues si elles ne conduisent pas à un phénotype (caractère morphologique) marqué (Torregrosa et al. 2011). L’étude des variations somatiques et des phénotypes qu’elles induisent peuvent conduire à des avancées scientifique majeures (Fernandez et al. 2010 et 2013, Chaib et al. 2010).

 

Chez la vigne, espèce multipliée végétativement par bouturage ou greffage, c’est aussi une source de diversité importante. Au cours du temps, les mutations non létales ou peu rédhibitoires pour la culture s’accumulent dans le patrimoine génétique, ce qui induit de la diversité clonale (par exemple les variations de couleurs de raisin dans les cépages connus sont apparues par mutation somatique).

 

Les anomalies que nous rapportons ici montrent comment une variation somatique conduit à un nouveau phénotype. La variation somatique exprimée chez le Grenache N affecte l’ensemble d’un rameau indiquant que la mutation est établie de façon stable et précoce au niveau de la mise en place du bourgeon. Théoriquement, il est donc possible d’envisager sa multiplication végétative par bouturage  à partir des bourgeons latéraux (bourgeons latents) qui doivent normalement reproduire le même phénotype. Si les bois ne sont pas morts du fait du mauvais aoûtement, des sarments seront prélevés et mis en collection au domaine de Vassal (INRA), pour enrichir la collection de ressources génétiques de la vigne.

 

 

Bibliographie

  • Carrier G., Le Cunff L., Dereeper A., Legrand D., Sabot F., Bouchez O., Audeguin L.,  Boursiquot J-M, This P. (2012) Transposable elements are a major cause of somatic polymorphism in Vitis vinifera L. PLoS ONE 7: e32973.
  • Torregrosa L., Carbonneau A. (2015) Génétique du développement et de la résistance chez la vigne. In “ Traité de la vigne : Physiologie, terroir, culture”. Dunod, Paris, France, EAN13 : 9782100726691, 237-262.
  • Torregrosa L., Fernandez L., Bouquet A., Boursiquot J-M., Pelsy F. & Martinez-Zapater J-M. (2011) Origins and Consequences of Somatic Variation in Grapevine. In “Genetics, genomics and Breeding of Grapes” (Ed. C. Kole), Science publishers, Enfield, New Hampshire, USA, pp 68-92. DOI: 10.1201/b10948-4.
  • Fernandez L., Chaïb J., Martinez-Zapater J-M, Thomas M-R, Torregrosa L. (2013) Mis-expression of a PISTILLATA-like MADS box gene prevents fruit development in grapevine. Plant J. 73: 918-928.
  • Chaib J., Torregrosa L., Mackenzie D., Corena P., Bouquet A. & Thomas M.R. (2011) The microvine - a model system for rapid forward and reverse genetics of grapevines. Plant J. 61: 1083-1092.
  • Fernandez L. Torregrosa L., Segura V., Bouquet A. & Martinez-Zapater J-M.  (2010) Transposon-induced gene activation as a mechanism generating cluster shape somatic variation in grapevine. Plant J. 61: 545-557.

Cet article a été publié en tant que note scientifique dans le PAV ("Publications & Actualités Vitivinicoles").

 

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